smallnoise

smallnoise

Janine Berder

Ravaudage :

Enfants, nous riions des trous aux chaussettes d’autrui, lors des fétides déshabillages dans les vestiaires des salles de sport.
Nous, à la maison, nous avions grand-mère dans son fauteuil d’osier, au clair de la baie vitrée, qui, munie de sa boîte à ouvrage, reprisait consciencieusement nos « patates » avec son œuf.
Alors nous ne jetions pas aux orties la socquette percée ou le bas filé.
Ce goût ancestral, transmis par ma génitrice également adepte de l’enfilage du chas, s’est ancré chez moi adolescente à travers le canevas, ses coupes de fruits, biches au bois, coqs de Lurçat, qui, de fil en aiguille, m’ont conduite plus tard au tissage à cartons, puis à la tapisserie d’Aubusson.
Rapiécer fut aussi de mes activités de post-soixante-huitarde anticonsumériste, quand il était de bon ton, si tendance, de coudre des tissus usagés, de préférence fleuris, à des vestes ou pantalons neufs, dilettantisme d’années glorieuses.
A présent, près de la fenêtre, bésicles au nez et dé au doigt, à mon tour, je couds, bouche trous de mite et démaillages, répare les usures et affronts du temps.
Les mots sont riches de cette pratique -loisir et plaisir- de petite main qui croise et entrelace, rapetassant, rafistolant, raccommodant…mais le terme de ravaudage est celui qui m’agrée le mieux pour son relent d’un autre monde, son côté obsolète, vieux jeu, comme je le suis moi-même, incapable de pousser aux rebuts le gilet décati, le corsage décadent, indécent qui, toujours seyant et séduisant, épouse si bien l’épaule, l’aisselle, la taille, étoffe irremplaçable, que la patience d’une aiguille et d’un fil couleur refait, comme neuve.

Janine Berder
Moissac-Vallée-Française
Le 8 janvier 2014.